vendredi 10 mai 2019

Etonnant non ?

Merde merde merde merde merde...hier c'était l'anniversaire de Desproges, il aurait eu 80 ans, et j'ai raté ça, j'ai oublié d'en parler ici, j'ai honte…

Comme je n'ai pas trop le temps de faire un long discours et comme il faut sauver la planète,  je vais donc recycler ici un article que j'avais écrit dans une ancienne version des "jupes des filles"pour les 20 ans de sa mort, il y a 11 ans donc.

Pour être plus précis cet article date du 18 avril 2008, d'où certaines références citées un peu datées…(on peut avantageusement remplacer Kouchner par Castaner, par exemple..)

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C’est curieux, on se souvient toujours de l’instant précis ou on a appris la mort de quelqu’un d'important, ou on était, ce qu’on faisait…

Coluche par exemple, c’était à la veille de mon bac de français, j’étais entrain de biner dans le jardin de ma sœur (passionnant non ?!!) quand mes parents sont arrivés pour nous annoncer ça…terrible…

Brel, je me souviendrais toujours d’une autre de mes sœurs, sortant des WC les larmes aux yeux… Je lui ai demandé ce qu’elle avait, je ne comprenais pas… Elle avait bien trop de peine pour me répondre alors ma mère m’a expliqué, et du haut de mes 9 ans je crois que j’ai un peu compris ce jour là ce qu’était le talent…

Brassens, c’était chez une autre de mes sœurs (ben oui, encore une, mais j’en ai 4 faut dire !), j’étais entrain de regarder une encyclopédie sur un sofa, ils l’ont annoncé à la radio, c’était en fin d’après midi….J’étais bien trop jeune pour être touché, mais je sentais confusément que quelqu’un d’important s’en était allé...

Florent Pagny, je ne me souviens plus…

J’ai encore toutes les images en tête, c’est dingue…ça vous fait ça aussi ou je suis définitivement un garçon perturbé ?

Et lui ?….Lui c’était à Nantes…Il ne pleuvait pas sur Nantes, ce qui prouve, il avait bien raison, que Barbara n’a pas dit que des conneries, elle en a aussi chanté…

Il ne pleuvait pas, et pourtant il aurait mérité de pleuvoir, parce que c’est devenu un jour bien triste, d’un seul coup…

C’était Place Royale, dans le bus (me demandez pas le numéro du bus quand même !!), on venait de passer devant la taverne de Maitre Kanter, je sais même pas si elle existe toujours, mais c’est pas important…

J’étais dans le bus car j’allais, ou je revenais de l’école d’archi, une journée ordinaire d’un étudiant ordinaire...J’ai entendu ça à la radio, dans mon walkman, à cassette oui, les mp3 n’existaient même pas et les CD à peine, rendez vous compte…
 
Pierre Desproges est mort…étonnant non ?
 
C’est ainsi qu’il avait voulu qu’on annonce sa mort je crois, ultime pirouette...

J’avais le "dictionnaire superflu" dans les mains, c’est vous dire si je me suis senti concerné…

Oh, je ne le connaissais pas depuis longtemps, à 19 ans je n’avais pas encore eu le temps de sympathiser, et puis je crois surtout qu’il est devenu populaire après, au fil du temps. Je ne me souviens plus très bien, mais j'ai le sentiment qu’à l’époque, sa mort est passée relativement inaperçue aux yeux de l’élite et des biens nantis, des rustres et des malpolis, et même aux yeux des juifs et des pangolins, les ingrats, après tout ce qu’il avait fait pour eux…

Donc ça m'avait juste fait un peu suer d'apprendre ça quoi... un peu le même sentiment que quand Marie Trintignant est morte en fait... ou comme un truc de gosse que l’on sait qu’on fait pour la dernière fois...comme une punition ...

Oui, c'était exactement ça, une punition.

Desproges était mort, et c'était comme l'arrêt brutal et définitif de tonnes de bons moments à venir … Fini, plus de bonbons, plus de jouets, privé de dessert, tu es grand maintenant, et le monde des grands, c’est pas Monsieur Cyclopède mon p’tit vieux…

Desproges, c'est le sale gosse au visage d'ange de la photo, celui qui jette des boulettes de papier dans le dos de l'instit' et qui fait marrer tout la classe, mais c'est aussi le premier, fort en thème, alors on peut rien lui dire... tellement attachant...

Alors quand il est mort, j'ai voulu prolonger l'instant, rester enfant, encore un peu, jeter des boulettes de papier avec lui...

Alors comme beaucoup de gens, j’ai pris le train en marche, enfin après qu'il ait déraillé plutôt… et j’ai dévoré, tout, d’un seul coup ou presque, une vraie boulimie…

J’ai usé la cassette vidéo de ses deux spectacles à force de la regarder dans mes moments de déprime de célibataire, et il y’en a eu !… Et puis je déprimais encore plus en me disant qu’on aurait plus jamais droit à ça !!

J’ai écouté en boucle tout les CD des "réquisitoires" et des "chroniques" … J’ai acheté et lu 3 fois chacun, minimum, tous les bouquins, tout les fonds de tiroirs, car dieu sait si le filon a été exploité jusqu’à l’ultime pépite, mais qui s’en plaindrait ?

Pas moi…

Bref, si l’humour est ma religion, la seule que je n’aurais jamais, alors je suis résolument monothéiste…

Il y a des apôtres bien sur, Gotlib, Fanquin, Reiser, Siné, Woody Allen, les Marx brothers, les Monty Python et même Bernard Kouchner (un grand comique de l’état comme on dit!)… 

Mais il y a, il y aura surtout, à tout jamais, Desproges ….

Je ne sais pas s’il y a eu un seul jour ou je n’ai pas pensé à lui, une petite phrase assassine dans les dents d’un collègue suffisant, un mot d’esprit bien placé dans une conversation soporifique… C’est si bon de se sentir intelligent, même avec les mots des autres…

Aujourd’hui, il y a tous ces regrets, éternels, de ne jamais savoir ce qu’il aurait pu dire sur Sarkozy et sa clique, sur Pagny et Cauet, sur Bigard et Sébastien, sur Arthur et Fogiel, sur tous ces pompeux cornichons (gloup gloup!) qui confondent talent et arrivisme, humour et racolage, toutes ces sous-vedettes qu’il aurait taillé en pièce avec des tournures de phrase perfides et des mots au vitriol, des phrases qu’ils n’auraient même pas compris, ces sinistres cons, tellement il y avait de mots …

Il y a plus d’intelligence dans une seul phrase de Desproges quand il remue son œil, qu’il n’y en aura dans toute la carrière de Cauet … quand il remue la queue oui…

20 ans, voilà, ça fait 20 ans aujourd'hui que ce putain de bus est passé devant la taverne de Maitre Kanter, et j'ai un petit pincement au cœur, forcément...

Après, j'ai raté mes études à Nantes… pas sa faute, mais quand même !

De toute façon, je n'irai plus à Nantes... il pleut tout le temps à Nantes

Je n’irai jamais chez Maitre Kanter non plus … La bière, ça fait trop penser aux enterrements vous comprenez…

Mais je continuerais à lire Desproges, comme antidote à la connerie, comme paravent à la bêtise humaine qui n’a pas reculé depuis sa mort, loin s’en faut, il aurait quand même pu finir le boulot avant de partir…

Je continuerais à le lire, parce que j’ai toujours l’impression d'y découvrir des choses qui m’avaient échappé à la première lecture, les derniers bonbons collés au fond du pot…

Je continuerais à le lire parce que c'est toujours une intense jubilation, Desproges a inventé le mouvement perpétuel de la rigolade, c'est sur...

Et pourtant, j'ai un peu envie de pleurer là...

C'est con...

La nostalgie camarade...

« Regardons s'agiter ces malheureux dans les usines, regardons gigoter ces hommes puissants boursouflés de leur importance, qui vivent à 100 à l'heure. Ils se battent, ils courent, ils caracolent derrière leur vie, et tout d'un coup ça s'arrête, sans plus de raison que ça n'avait commencé, et le militant de base, le pompeux pdg, la princesse d'opérette, l'enfant qui jouait à la marelle dans les caniveaux de Beyrouth, toi aussi à qui je pense et qui a cru en Dieu jusqu'au bout de ton cancer, tous , tous nous sommes fauchés un jour par le croche-pied rigolard de la mort imbécile, et les droits de l'homme s'effacent devant les droits de l'asticot. »

Tient… je pleure...

Étonnant non ?   

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